Près de 350 élèves de troisième des deux collèges de la commune, Jean-Demailly et Immaculée Conception, ont écouté, mercredi matin, le témoignage de Lili Keller - Rosenberg, dernière rescapée nordiste des camps de concentration à raconter les horreurs vécues dans ces lieux. Une conférence-débat qui s'inscrit dans le travail de mémoire initié en partenariat par la Ville et les deux collèges de la commune.
Deux ans de déportation
Aînée de trois enfants, Lili Rosenberg est née à Roubaix. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, elle et ses frères Robert et André ne sont pas encore adolescents. Ils sont d'abord cachés dans la famille du curé de la paroisse. Mais, après un court retour dans leur foyer - leurs parents pensant que la situation était plus sûre - les Rosenberg sont arrêtés, le 27 octobre 1943, par les soldats de la Feldgendarmerie (police militaire allemande). "Je m'en souviens, c'était la veille du jour anniversaire de Maman", souligne Lili, de sa voix douce et assurée. Le père est séparé de sa famille, Lili et ses frères apprendront à leur retour qu'il a été envoyé au camp de concentration de Buchenwald - il y sera fusillé par les nazis quelques jours avant la libération du lieu.
Pour les quatre membres restants, un périple à travers une partie de l'Europe commence. D'abord la prison de Loos, puis celle de Saint-Gilles (Bruxelles), le camp de rassemblement de Malines, avant d'arriver, en décembre 1943, au camp de concentration pour femmes de Ravensbrück. "Nous n'étions plus personne." À 91 ans, la roubaisienne témoigne du quotidien dans ces lieux d'horreur. Le lever à 3h30, "nous nous levions une demi-heure plus tôt pour qu'on puisse se laver. C'était important pour Maman, elle disait que les Allemands nous avaient tout pris sauf notre dignité. Et qu'ils ne nous la prendraient pas", explique-t-elle. C'est aussi pour cela qu'elle tient à témoigner debout et apprêtée. L'appel, qui pouvait durer des heures pendant lesquelles les détenues devaient rester debout, en rang, le temps que les soldats retrouvent le bon nombre de prisonnières. L'attente de leur mère, qui partait la journée à "l'arbeit". "Nous ne jouions plus, on avait peur de tout. Notre seule occupation était de tuer les poux qui nous avaient envahis mes frères et moi. Les journées n'en finissaient plus, nous ne commençions à revivre et à respirer qu'au retour de Maman." La faim, le froid et la peur. "Nous avons vécu, pendant deux ans, comme des ombres, n'osant nous montrer." Dans ce lieu de l'horreur, les chiens des soldats étaient dressés pour attaquer les prisonnières et leurs enfants. Lili en a d'ailleurs gardé une peur bleue depuis.
Février 1945, Lili, sa mère et ses frères sont transportés, en wagon à bestiaux, comme lors de chaque transport, au camp de Bergen-Belsen. Une épidémie de typhus sévit alors dans ce "camp de la mort lente" comme l'appelle Lili. Elle décrit les nombreux cadavres qui jonchaient le sol et les blocs. L'odeur des corps brûlés dans les fosses communes. La mère de Lili tombe malade, victime de l'épidémie. Le 15 avril 1945, les soldats anglais libèrent Bergen-Belsen. Lili, Robert et André sont rapatriés en France, dans un état de faiblesse extrême. Leur mère, elle, a été prise en charge dès la libération du camp par les Anglais.
Retour en France
Arrivés en France, les trois enfants - Lili a alors 13 ans - qui sont toujours sans nouvelles de leurs parents, sont accueillis par un chirurgien-dentiste, frère d'une assistante sociale. Puis ils retrouvent leur oncle et leur tante, dans les Deux-Sèvres. Avant d'être pris en charge par la Croix-Rouge, pour un séjour dans un préventorium à Hendaye où leur mère les retrouve. Retour à Roubaix, à quatre, où la famille découvre que leur maison a été pillée. La solidarité fonctionne, les voisins leur donnent de quoi se meubler. C'est aussi à ce moment que les Rosenberg apprennent que leur père et mari ne rentrera pas. Il a ensuite fallu une dizaine d'années à la roubaisienne et à ses frères pour reprendre "une vie normale". "Quand on est rentrés, j'en voulais à tout le monde. Puis, en grandissant, j'ai compris que je ne pouvais pas en vouloir aux Allemands. La plupart d'entre-eux ne voulaient pas la guerre. Mais je ne pourrrais jamais pardonner aux nazis !"
Les jeunes, messagers de Lili
C'est la montée des négationnismes qui a poussé la nordiste à témoigner, et à faire passer son message aux jeunes générations. "Vous avez un rôle à jouer après nous, les déportés. Vous êtes mes petits messagers. Vous devez être vigilants pour éviter la guerre, ne laissez pas dire n'importe quoi." Lutte contre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme, tolérance de l'Autre et de ses différences. "Nous sommes tous faits de la même façon, nous devons nous supporter les uns les autres avec nos différences." Et surtout, arrêter la haine et la guerre. "C'est la haine qui amène la guerre. Vous êtes capables de l'arrêter" lance-t-elle aux collégiens qui ont posé de nombreuses questions à la fin du récit. Sur ce qui l'a fait tenir, ce que sont devenus ses frères, les conséquences psychologiques et physiques d'une telle horreur, les traumatismes... Des élèves qui, pour trente d'entre eux, participeront à un voyage de mémoire en Allemagne (Apolda) en mai, financé par la Ville. Au cours de ce voyage, ils visiteront le camp de Buchenwald et y déposeront un hommage au père de Lili. Un geste qui a ému la passeuse de mémoire.
Un reportage vidéo de 15 minutes est disponible sur notre châine Youtube via ce lien : https://youtu.be/CNjQN6y8iR8 . Vous pouvez découvrir le témoignage de Lili Keller-Rosenberg dans son intégralité via le lien Youtube suivant https://youtu.be/DiTZlgILBJg